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En cette première moitié du 19ème siècle, le voyage de l’obélisque à été une grande démonstration technologique, un véritable défi unique en son genre.
Retraçons le parcours de l’allège le « Louxor » à travers un océan, une mer et deux fleuves. Une navigation réalisée à la voile et à la vapeur. Une aventure inédite pour l’époque, où il fallut inventer de nouveaux moyens de transports et répondre à des contraintes peu ordinaires.
Un cadeau offert par l'Égypte
C’est sous Charles X que Mohamed Ali, alors Check D’Egypte, offrit l’une des deux aiguilles de Cléopatre situées à Alexandrie à la France. Jean François Champollion, le découvreur du langage hiéroglyphique fut envoyé par la France en Egypte pour choisir l’obélisque offert. C’est ainsi le premier voyage de Champollion dans ce pays. Arrivé sur place, l’un des deux était couché au sol et l’autre encore debout. Mais le coût colossal pour les ramener jusqu’aux rives du Nil scella leurs destins.
Quand Champollion remonta le Nil, il fut en admiration devant les deux obélisques de Louqsor, tous deux encore fièrement érigés sur leur socle. Il sut être suffisamment convaincant pour négocier la cession des deux monuments à la France, un seul fut finalement rapporté.
Une expérience peu réalisée dans l'Histoire
Dans l’Histoire, plusieurs expéditions ont ramené de tels monuments. Pour les premières, on ne savait pas comment les romains avaient rapporté et érigé à Rome leurs obélisques. Il subsiste le témoignage complet de l’architecte Dominique Fontana au 16 ème siècle concernant la réédification de l’obélisque de la place de Saint-Pierre. Il fut une grande source d’inspiration pour l’ingénieur Lebas, personnage à qui il a été confié la tâche de ramener le monument jusqu’en France. L’art de l’architecture navale ayant évolué, il fallut tout d’abord, trouver le moyen de transport le plus sûr. Au vu du poids colossal du monolithe, la mer s’est vite avérée le biais le plus efficace, car une fois l’objet disposé à fond de cale il ne s’agissait plus que de ramener un navire. Mais quelle embarcation allait être capable de transporter un tel fardeau ? C’est sur le modèle de l’allège que fut construite le « Louqsor », un navire renforcé, spécialement conçu pour ce voyage.
Le navire
Définition d’Allège, dictionnaire Paris et Bonnefoux, 1848
ALLÉGE,s.f. Lighter, Craft :
Barque qui sert à recevoir une partie des objets composant le chargement ou l’armement des bâtiments, afin que ceux-ci soient réduits, momentanément, à un moindre tirant-d’eau. On peut, alors, remonter un fleuve, se réarrimer, se réparer, ou changer ses dispositions intérieures. Les Allèges servent aussi à porter à bord d’un navire ce dont il peut avoir besoin pour prendre la mer. Leur service se borne, en général, à parcourir un port et la rade qui l’avoisine. Lorsqu’elles sont petites, elles vont à la remorque d’embarcations. Dans de plus grandes dimensions, elles ont un ou deux mâts avec voiles. Il en est, même, qui naviguent le long des côtes. Elles peuvent porter jusqu’à 250 tonneaux, et leurs formes varient selon les pays.
Ce type de navire répond donc aux contraintes de navigation sur les fleuves et le long des côtes. Mais ce n’est pas tout, il fallait aussi pouvoir passer sous les ponts de la Seine et même s’échouer sur le sable des rives du Nil et surtout pouvoir transporter un obélisque.
Celui-ci ne manquait pas d’en imposer car il mesurait dans sa longueur vingt-trois mètres, dans sa largeur à la base deux mètres quarante-trois centimètres, et au sommet, un mètre cinquante centimètres. Il pesait avec le revêtement, 250 tonneaux, ce qui équivaut à 500,000 livres soit 250 tonnes.
Il fallait qu’elle n’ait pas plus de deux mètres de tirant-d’eau avec son chargement pour naviguer sur les fleuves et qu’elle soit assez plate pour s’échouer, dans une position parfaitement droite, sur une plage de sable. Ainsi M Rolland, inspecteur général du génie Maritime de Toulon et responsable de sa construction, dut s’écarter des règles classiques de l’architecture navale.
Une structure très renforcée
La longueur de la coque fut déterminée par la taille de son futur chargement et la surface de sa carène évoquait très fortement celle d’un « parallélépipède dont on aurait émoussé les angles et les arrêtes ».
Sa membrure fut composée en partie avec du bois de sapin. Au doublage en cuivre on substitua un placage en planches pour diminuer autant que possible les dépenses et le poids de la masse*.
Mais au vu de la disproportion du monolithe qui allait constituer son chargement, la structure elle-même dut être renforcée. Au point que ce n’est pas une, mais cinq quilles qui furent placées pour constituer la charpente du navire. L’obélisque, lui, n’allait reposer que sur 3 d’entre elles, laissant les deux dernières pour apporter plus de stabilité au bâtiment. Cette disposition unique a permis de répartir la pression exercée par le monument sur un plus grand nombre de points. En addition, il renforcèrent les murailles par des porques obliques et multiplièrent les liaisons longitudinales afin de rendre le système solidaire.
La propulsion du navire était la voile, grâce à trois mâts qui s’enfonçaient jusqu’au premier pont et non jusqu’au fond du navire afin de laisser tout l’espace disponible dans la cale.
Son tirant d’eau avait été calculé à six pieds (1,8288m), chargé de l’Obélisque. Sa longueur était de quarante-deux mètres, sa largeur, de huit.
Voilà en ces quelques lignes, les précautions particulières qui rendent ce navire unique en son genre et prêt à affronter la navigation qui l’attendait.
Le Louqsor a été construit dans le port de Toulon pendant l’expédition d’Alger (14 juin 1830 – 7 juil. 1830). C’est en août 1830 qu’il fut armé.
Le voyage
Après un voyage en direction de l’Égypte sans encombre, le Louqsor descendit le Nil jusqu’à son lieu d’échouage. Le navire fut placé sur le sable de sorte à être bien à plat et prêt à recevoir son chargement.
Vue du Luxor avant son retour en France, lavis et aquarelle, 1832. Léon de Joannis (1803-1868). © Collection particulière/musée national de la Marine/A.Fux
Il fallut plusieurs semaines pour ramener le monolithe. Le risque était que, par l’action du soleil, le bois sèche et qu’il se crée des fissures dans les jointures de la coque ou dans le bois lui-même. Le navire fut donc recouvert de nattes afin de le préserver du dessèchement.
Mais comment embarquer un tel monument ?
Ne pouvant utiliser les moyens classiques de chargement par les écoutilles, il fallut trouver un moyen radical. La décision fut prise de scier la partie avant du navire, cela au niveau du coltis. Cette dernière, une fois levée, ouvrait tout le ventre du navire et permettait à l’obélisque d’y être inséré.
C’est le 19 décembre que le sommet du pyramidion se présenta devant l’ouverture du bâtiment. Pour introduire une telle masse dans le navire, M Lebas « fit deux trous à la poupe par lesquels passèrent deux caliornes frappées sur des chaînes amarrées à des ancres, enfoncées à l’ouest dans la terre, et retenu par des charges considérables et des piquets profondément fichés dans le sol. Ces caliornes firent effort ensemble avec des cabestans, et, en deux heures seulement, l’obélisque fut placé sur les carlingues du Louqsor. ».
Coupe transversale du navire et disposition de l’Obélisque dans la cale.
L’obélisque n’était pas placé nu mais recouvert d’un coffrage en bois pour s’assurer qu’il ne s’abime pas lors de toutes ces opérations. Seul le sommet et la base restèrent à découvert. On peut apprécier la description de M Mery décrivant le monument « comme une gigantesque momie de granit dont on ne distingue que la tête et les pieds »
Du 19 au 25 décembre 1831, la proue sciée du navire fut re-solidarisée et l’ensemble emménagé, re-mâté et dégagé du sable qui l’entourait. Le Nil vint ainsi le remettre à flots.
Atelier du musée de la Marine, 1847. © Musée national de la Marine/A. Fux
Atelier du musée de la Marine, 1847. © Musée national de la Marine/A. Fux
Il appareilla le 25 août 1832 et rejoignit Alexandrie le 2 janvier 1833, après avoir attendu un niveau d’eau suffisant pour son tirant d’eau. Les caractéristiques de profondeur du Nil étant bien moins connues que celles de la Seine, sa navigation s’en releva d’autant plus difficile.
CALIORNE :
Le nom de caliorne est appliqué aux plus gros et plus forts palans d’un navire ou d’un arsenal, on s’en sert, à bord, pour embarquer ou débarquer les embarcations et, en général, pour exercer de grands efforts. L’appareil des poulies pour caliornes se compose d’une poulie à trous à rouets que l’on met en rapport avec une autre poulie à trois ou à deux rouets. Il y a ordinairement, une caliorne de chaque côté de la tête du grand mât et de celle du mât de misaine. On peut établir des caliornes pour braguette, pour drisses et basses vergues, et pour tout appareil considérable.
Un retour à la vapeur
Le Sphinx remorquant le Luxor, François Roux (1811-1882), aquarelle sur papier, vers 1880/82 © Galerie Delalande, le Louvre des antiquaires. Paris
Le 1er avril 1833, le Luxor se mit en route pour Toulon, remorqué par le Sphinx, premier navire de haute mer à vapeur de la Marine française. En effet, le poids de son chargement allié à ses formes non adaptées à une bonne marche* rendaient nécessaire une assistance par la vapeur. Il connut des conditions de navigation difficiles. Il arriva le 10 mai 1833, après deux escales à Rhodes et Corfou pour ravitailler en charbon.
A l’issue de sa quarantaine à Toulon, l’expédition reprit sa route, via Gibraltar et La Corogne, et atteignit Cherbourg le 12 août. Elle y reçut, le 2 septembre, la visite du roi Louis-Philippe.
Enfin, le 12 septembre, toujours remorqué, le navire partit pour le Havre où le petit vapeur civil La Héva, qui remplaçait alors le Sphinx, conduisit le Luxor, en deux jours, jusqu’à Rouen.
Démâté, rasé et allégé, le Luqsor partit de Rouen le 13 décembre 1833. Il fut alors halé par des chevaux qui devaient changer de rive selon la configuration du cours du fleuve. Enfin, le 23 décembre 1833, soit deux ans et neuf mois après son départ de Toulon, le Luxor fut amarré au pont de la Concorde à Paris.
« Raser » un navire est l’action d’enlever un pont ou des hautes structures, ce qui a pour effet d’alléger le navire et de diminuer sa résistance au vent. Ici, cela garantit surtout le passage sous les ponts de la Seine.
Le Luxor ayant atteint la place de la Concorde, fut à nouveau scié sur l’avant afin d’en faire sortir l’obélisque.
Le voyage ne s’arrêta pas là. Libéré de son précieux contenu le navire fut remonté et repartit vers Brest pour embarquer le socle en granit commandé qui allait constituer la base du monument. Ainsi, il fut à nouveau découpé pour le chargement et le débarquement final à Paris.
Un triomphe de la Marine
L’Obélisque fut érigé sur son socle le 25 octobre 1836 par 300 artilleurs et marins actionnant quelques 10 cabestans. Encore aujourd’hui, ce monument est toujours en place, marquant de sa flèche la perspective entre le Louvre et l’arc de Triomphe.
A travers l’épopée du voyage de l’obélisque, la France à montré qu’elle était capable de relever un défi hautement technique, en construisant sur mesure un système de transport répondant à des contraintes hors du commun.
Construit sur le modèle de l’allège, une structure utilisée pour ses capacités de transport, le Louqsor accomplit brillamment sont voyage et marqua fortement l’histoire en apportant en France, le monument qui s’élèvent encore aujourd’hui sur la place de la Concorde à Paris.
On y voit également l’avènement de la vapeur qui est l’élément clé du retour de l’allège. Cette force marquant ainsi sa capacité à développer une puissance considérable en permettant de compenser les contraintes de la voile. Cette technique alors émergeante ne cessera de s’imposer jusqu’à remplacer totalement la voile.
Les personnages clés
Champollion : Chargé de constater l’état des aiguilles de Cléopatre qui avaient été cédées à la France, il tomba en admiration devant les obélisque de Louqsor et réussi à obtenir celui en meilleur état.
Jean Baptiste Apollinaire Lebas : ingénieur en charge de l’expédition pour ramener l’obélisque jusqu’en France et de son érection sur la place de la Concorde.
Lieutenant de Joannis : Lieutenant de vaisseau tout au long de l’expédition, il revint avec un récit de voyage, des gravures et des aquarelles illustrants les détails de l’expédition.
M. le baron Rolland, inspecteur général du génie maritime de Toulon fut en charge de la construction de l’allège.
Bibliographie
Annales maritimes et coloniales de 1831
Les chemins de halage : https://fr.wikipedia.org/wiki/Halage
Voir Lé => def paris et bonnefoux
L’obélisque de Luxor, histoire de sa translation :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louxor_(navire)
Sur le navire lui-même avec quelques dimensions
Modèle du Sphinx
http://mnm.webmuseo.com/ws/musee-national-marine/app/collection/record/9680
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_du_transfert_de_l%27ob%C3%A9lisque_de_Louxor_%C3%A0_Paris
Les vidéos sur le sujet :
Chaine musee de la marine