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Lorsque l'on parle de couleurs dans la Marine, on pense à ces grands vaisseaux aux décorations peintes, faisant la démonstration du savoir faire des architectes et sculpteurs Français en portant leur art à travers les mers. Les peintres à travers leurs marines et les maquettes produites par les arsenaux nous offrent un formidable témoignage de la diversité chromatique de chaque bâtiment sous l'ancien régime.
Mais les diverses teintes que pouvaient prendre un navire n'étaient pas seulement dues à la fonction décorative car il s'agissait aussi et surtout d'un bateau de guerre.
Découvrons toutes les subtilités de ces différentes couleurs.
L'extérieur du navire
La carène
Commençons par la coque, la carène plus précisément. C'est la partie immergée du navire aussi appelée oeuvres vives. Comme toute coque et surtout celles en bois, elle est soumise à l'attaque des mollusques et autres vers marins mais aussi simplement à l'eau qui peut vite en causer la détérioration.
0n utilisait la couroi, qui était un mélange de trois parties de braie, deux de souffre et une d'huile de poisson. Ce produit était appliqué lors de l'abattage en carène et donnait une teinte blanche à la coque.
Ce blanc ne devait pas rester très longtemps éclatant. On peut donc aussi bien penser que sa vertu était uniquement liée à la préservation de la coque puisque non-visible une fois le navire armé.
Cet usage dura tant que la coque n'était pas doublée en cuivre, puisque ce dernier faisait alors office de protection. Les plaques de cuivre donnaient une teinte rouge pur ou de laiton au départ, puis vert-de-gris à cause de l'oxydation au contact de l'eau salée.
Les décorations
Sur un navire, il existe trois principales zones comportant des décors.
La proue, où l'on trouve la figure, une sculpture, véritable représentation du nom du navire.
Les bouteilles, sur les flans à l'arrière, elles font partie des espaces de logement des officiers et font la liaison avec la poupe.
Et enfin, la poupe dont le décor comprend le tableau de poupe et toute sa structure avec balcons et balustrades pouvant être sur plusieurs niveaux selon le nombre de batteries du bâtiment.
Ces parties sont sculptées plus ou moins richement en fonction du rang et ont pour rôle d'exprimer la puissance du navire, la richesse de la nation à laquelle il appartient.
On dénombre une vingtaine de matières qui servent à faire les couleurs, terres, pigments, ocre rouge ou encore matières précieuses comme l'or appliqué en feuilles ou le lapis-lazuli qui, broyé, donne le bleu outremer.
"Ces pigments sont mélangés à de l'huile de noix pour leur donner leur consistance.
Caroline le Mao, les fournisseurs de Marine, La Geste, 2021
On utilisait des couleurs vives, notamment le Jaune de Naples, un peu plus clair et plus "transparent" que l'ocre jaune afin de simuler la dorure, notamment pour les éléments de sculpture.
On peut aussi noter le bleu azur en référence à la Vierge, protectrice du Royaume de France, teinte plutôt onéreuse et donc destinée au haut des oeuvres mortes (tout ce qui est situé au-dessus du niveau de l'eau). Son usage s'arrêtera au 19ème siècle.
Pour toutes les autres couleurs évoquées, elles décrivent la richesse et le soin qui était apporté pour assurer le rayonnement du navire à l'étranger.
Et deux dessins en couleur de Jean Bérain du Soleil Royal en 1670.
La mâture
Les éléments de mâture étaient très peu peints, seuls les hunes et perroquets ainsi que les tons et pommes, étaient noirs.
Ce noir se retrouve là où il y a des frictions entre deux pièces, cela permet alors de disposer d'une couche protectrice pour le bois.
Sur ce sujet on peut consulter les oeuvres de Joseph Vernet, notamment sa vue du port de Bordeaux réalisée en 1758.
Les voiles
Les voiles étaient réalisées avec du chanvre et traitées, ce qui devait leur donner une teinte blanc écru.
Concernant les cordages, ils étaient goudronnés afin de les protéger, cela leur donnant une teinte noire.
Gréement courant et dormant
La confection du gréement se fit à partir de fibres de chanvre. Les fils carrets sont goudronnés au départ, avant même d'en faire des cordages. "Le goudron est obtenu par une méthode de combustion analogue à celle pratiquée pour le charbon de bois. La calcination des résineux permet d'en obtenir la sève qui prend le nom de goudron [...]. Ce goudron est clair, fin et un peu rouge."
On a donc un rendu noir dans l'ensemble.
L'intérieur
Les cales et le faux-pont
Pour ces espaces, il était appliqué une peinture blanche à la colle. Concernant ce choix, il y avait des inspections quotidiennes faisant partie de l'entretien du navire, le blanc devait être une aide certaine pour déceler des coulures ou autres traces pouvant être présentes.
Les batteries
Les batteries sont les ponts où l'on dispose les canons. Sur tout le long du navire sont percés les sabords par lesquels ils peuvent tirer. Ce contexte est le plus militaire du bâtiment, c'est le lieux où l'on fait feu sur l'ennemi, mais aussi où l'on peut recevoir des projectiles.
Les espaces étaient peints en ocre rouge, cette couleur servant à diminuer l'impact des projections de sang lors d'un combat. Cette teinte est aussi synonyme de la violence et de la puissance venant ainsi stimuler l'état d'esprit guerrier de l'équipage.
À partir de l'Empire, on l'abandonnera au profit d'un jaune pâle analogue au jaune de Naples comme le faisaient les Anglais.
Quelle part ont-elles dans le coût de la construction d'un navire ?
Au final, comparé aux milliers d'arbres utilisés pour la coque et la mâture, aux tonnes de métaux pour les clous, courbes de baux, canons et munitions, la peinture ne constitue qu'une infime partie des matériaux nécessaires à la construction navale. Achevons cette partie sur un passage du livre de Caroline le Mao :
À l'échelle du coût global de la construction, la part prise par la peinture est négligeable. On a par exemple pu établir , à partir du compte fait pour la construction de feux frégates au Havre, que les achats de peinture représentent un peu plus de 120 livres pour une dépense totale de 41 701 livres, soit 0,3%.
Caroline le Mao, les fournisseurs de Marine, La Geste, 2021
En résumé, les couleurs peintes d'un vaisseau sont surtout présentes sur la coque et particulièrement sur les ouvrages sculptés à la poupe et à l'étrave.
A la vue d'un navire sous voile, on est frappé par la blancheur jaunie des voiles, puis on découvre la coque avec ses nuances de jaune et de noir et enfin les détails de sa décoration.
Qu'elles aient pour fonction de protéger des éléments ou de décorer le navire, les couleurs donnent sa prestance au bâtiment. Celui-ci doit imposer par sa puissance de feu mais aussi par sa beauté.
De Louis XIV à Napoléon III, ces nuances ont suivi l'évolution de l'art à terre et ont subi des transformations majeures. L'ancien régime a vu le jaune, rouge et bleu en référence aux couleurs de la Royauté. Suite à la Révolution, on transitera vers le noir et blanc, le jaune restant pour la décoration et enfin le rouge finira par disparaitre des batteries.
Il y a peu d'écrits sur le sujet mais sans ces diverses teintes, la Marine n'aurait pas été la source d'une aussi grande fascination.
Voici la liste de quelques couleurs
- Bleu azur
- Bleu de prusse
- Noir de fumée
- Ocre rouge
- Vermillon
- Gris
- Vert de mer
- Vert olive
- Ocre jaune
- Toile à voile en chanvre
- Cordage en chanvre goudroné
- Jaune de Naples
- Couroi blanc
Bibliographie
- Caroline le Mao, les fournisseurs de Marine, La Geste, 2021
- Jean Boudriot, la couleur dans la Marine classique 1650 - 1850, Collection Archéologie Navale
- Jean Boudriot, le vaisseau de 74 canons. Tome 1 - 4, Ancre édition, 1975